samedi 5 novembre 2011

SAGMEISTER (Stefan), PROD'HOM (Chantal), WOODTLI (Martin), Another Book about Promotion and Sales Material, Lausanne, MUDAC, Paris, Pyramyd, 2011.

SAGMEISTER (Stefan), PROD'HOM (Chantal), WOODTLI (Martin), Another Book about Promotion and Sales Material, Lausanne, MUDAC, Paris, Pyramyd, 2011.

P.5
En Europe et particulièrement dans les pays francophones, il existe une très nette distinction entre le monde du graphisme dit "culturel" et celui du monde commercial. Les bons graphistes sont considérés comme tels lorsqu'ils travaillent pour des structures culturelles alors que les designers vivant de projets commerciaux ne sont pas particulièrement considérés. Notre studio s'intéresse et travaille dans les deux domaines car cette vision quelque peu manichéenne - La culture c'est bien , le commerce non - n'existe pas aux États-Unis. Il est par contre évident que les mandats commerciaux ont bien plus d'impact et touchent bien plus de gens que les travaux réalisés pour des clients évoluant dans le monde de la culture, ce qui est bien sûr important pour un studio comme le nôtre. Cette réflexions m'ont donc amené à me concentrer sur les travaux de commande autant culturels que commerciaux, …

P.6
Après 17 années passées à New-York, mon rapport à la vente a certainement changé. Dans tout ce que nous faisons, tant dans notre vie privée que professionnelle, la notion de représentation - dans le sens se mettre en avant, de se montrer sous ses meilleurs angles et donc de se "vendre" - est omniprésente. Les mécanismes mis en oeuvre sont devenus du coup les mêmes dans les 2 pans essentiels de nos vies. En même temps, tout ce que nous entreprenons dans le monde du design est étroitement lié à la communication, à la manière de se présenter, d'échanger, de se vendre. A partir de là, l'outil primordial doit être le bon sens et cela est très important car, de mon point de vue, il représente la base de toutes les stratégies et de tous les mécanismes de vente, tant commerciales que privées.

P.42
Identité visuelle de a Casa da Musica
La commande consistait à concevoir l'identité complète de la Casa da Musica, le centre de musique, réalisé par Rem Koolhaas dans la ville portuaire de Porto, au Portugal. L'envie première de créer une identité visuelle dont le bâtiment serait absent s'est révélée impossible parce que, après une étude approfondie, il est apparu que le bâtiment était lui-même un logo. Cependant l'agence a souhaité ne pas se limiter à une interprétation de plus d'un bâtiment. Elle a donc élaboré un système par lequel cette forme immédiatement reconnaissable, unique et moderne, se transforme d'application en application tel un caméléon, se métamorphose de média en média; le bâtiment réel étant l'ultime interprétation (en haute résolution) d'une longue série de logos. L'objectif était de privilégier la vaste palette de musiques qui sont jouées ici, le centre réagissant à la musique qui l'anime tel un dé que l'on jette, révélant autant de facettes que de musiques différentes. Un générateur de logos Casa da Musica fut développé - un logiciel conçu sur mesure connecté à un scanner qui transforme en une fraction de seconde n'importe quelle image en image animée et photo, pour en faire un logo Casa da Musica.


P.61
Une question de posture - Martin Heller
Une chose est certaine : la posture de Stefan Sagmeister est bonne. (Cette appréciation, comme tout ce qui suit, est une interprétation - nous ne nous sommes encore jamais entretenus sur ces questions. Peut-être va-t-il régulièrement chez le phytothérapeute ? Peut-être suit-il des cours de Pilates ?) Sagmeister se tient droit, malgré sa haute taille. Cela fait forte impression sur les photos de lui qui sont en circulation. Consultez, par exemple, les illustrations fournies par Google : du fait de sa posture, elles donnent de lui une image d'ouverture et de fraicheur, de charme juvénile, avec un regard assuré et le plaisir non dissimulé de se mettre en scène. 


P.62
Intégrer le jeu dans sa posture suppose une certaine mobilité. Être mobile et le rester, tel est l'impératif du postmodernisme.(…)
Celui qui bouge se met en relation - avec l'espace, avec des thèmes, avec son temps et avec l'histoire, avec la politique, avec les autres. (…)
Reste la curiosité. La posture n'est jamais statique; elle a besoin d'impulsion, Stefan est quelqu'un qui pose des question et qui insiste. Toujours. Il se demande pourquoi une chose est telle qu'elle est et non pas différente. Il possède la modestie insouciante du montagnard de Vorarlberg qui se ballade en ville, les yeux ouverts, le regard étonné ou parfois incrédule, et pose des questions tout en sachant très bien oú est sa maison.


P.101
L'Impact Design - joseph V. Tripodi
Winning by design
La société Coca Cola est la preuve vivante que le design a le pouvoir de combler le fossé entre le monde de l'art et du commerce et le transformer un produit de consommation en icône culturelle. Le design est profondément ancré dans l'ADN de notre société puisqu'il a fit son apparition en 1886 déjà, lorsque nous avons conçu la bouteille Coca Cola a contours et , avec elle, posé les fondements de ce qui deviendrait la marque la plus importante du monde. Créée pour répondre aux bessons des consommateurs, des clients, des usines d'embouteillage et des fournisseurs, elle représentait le top du top en termes de forme, de fonctionnalité. De par sa différence, on l'associait immédiatement à la marque. La bouteille à contours, avec son inscription en Spencerian Script et ses autres signes distinctifs de marque, est devenue célèbre et c'est aujourd'hui un classique du design aussi omniprésent que la marque qu'elle arbore fièrement.
Bien que notre entreprise et le monde que nous servons aient considérablement changé en 125 ans, nous continuons d'adhérer aux mêmes valeurs et principes dans notre design. Nous avalons recours au design pour susciter la passion et affirmer notre avantage concurrentiel à tous les niveaux de nos relations à la clientèle - du packaging et du merchandising sur le point de vente à la publicité extérieure et télévisée, jusqu'aux et aux camions de livraison. Cette manière de faire nous permet d'être gagnants au moment de la mise en vente et, par conséquent, de conserver notre capital-marque et notre cote d'amour auprès du consommateur.
Le design nous aide à évoluer pour répondre aux exigences croissantes imposées à notre entreprise tout en restant fidèles à notre marque. Notre approche globale se base sur la théorie systémique. Celle-ci considère le monde comme une série d'éléments étroitement liés qui, avec le temps, produisent  des schémas de comportements uniques. En agissant ainsi, nous favorisons la simplicité, la cohérence et la durabilité. Cela améliore également la façon dont le consommateur ressent nos marques et , en définitive, nous donne l'avantage sur la concurrence.
Nous ne considérons pas le design comme une mode, un vernis de décoration ou quelque chose qui serait réservé à une élite qui seule saurait l'apprécier ou qui 'pigerait'. Pour nous, le design est une science autant qu'un art; il représente notre façon de concevoir notre architecture d'entreprise sur le long terme pour garantir une valeur durable. Le design est incorporé dans tout ce que nous faisons au sein de la société Coca Cola, des business plans et des stratégies de communication jusqu'aux chaînes d'approvisionnement et aux processus de mise sur le marché. Chacun de nous est un designer…, pas seulement ceux qui portent un béret et ne s'habillent qu'en noir.
Nous dessinons littéralement notre propre avenir. Évoluant dans un paysage médiatique fracturé, au capital-temps allant en se raréfiant, notre culture de consommation nous met au défi de concevoir des systèmes flexibles et adaptables, résistant à l'épreuve du temps, et qui son applicables à toutes les régions et à tous les points de contact. C'est ce que nous appelons 'penser le design à partir de l'étalage', car il s'applique véritablement à tous les éléments qui constituent l'ensemble de notre appréhension d'une marque et qui transforment les clients en acheteurs. Pour nous, il s'agit de générer séduction, impulsion et impact. 
Il est évident que la séduction, l'impulsion et l'impact figurent aussi au coeur du travail de Stefan Sagmeister. Comme lui, nous tenons en haute estime un travail à la simplicité faussement trompeuse et un graphisme qui fit réfléchir et qui défie les normes de la pratique traditionnelle. Inclassable, le portfolio de Stefan oscille entre la solennité des images de marque des entreprises et la simplicité organique de ses dessins au crayon d'objets trouvés. Il juxtapose les matières, les images et les typographies dans le but de créer des oppositions saisissantes de principes, de langages visuels et de médias, qui sont à la fois intuitives et exemplaires.
Stefan n'a pas de principes sacro-saints; rares sont les règles qu'il ne se permettra pas de contourner ou d'enfreindre pour provoquer une réaction. Cet ouvrage donne un aperçu passionnant de son langage de communication visuelle, qui se caractérise par un processus de réflexion non linéaire et une approche réellement globale. Libre de toute notion de convention ou de culture, il puise son inspiration à travers le monde, avant de transformer ses impressions en ébauches de concepts - démontrant ainsi que de grandes idées peuvent surgir n'importe oú, n'importe quand…


P.135
Mon Ami - Marian Bantjes
Stefan Sagmeister est l'un des rares designers que je connaisse qui soit vraiment à la hauteur pour réaliser des commandes abouties, percutantes, séduisantes, qui tapent dans le mille à chaque fois et qui portent son empreinte personnelle. La plupart des jeunes designers rêveraient de se trouver dans sa situation sans réaliser combien il est difficile d'y parvenir.
J'ai connu une femme qui voulait être 'créative', ce qui signifiait qu'elle se voyait bien avoir des idées et se débrouiller pour les faire réaliser par d'autres. Je crois que nous nous sommes tous trouvés un jour ou l'autre à prendre un verre ou deux, ou plus, entre amis ou collègues, et à lancer des idées géniales, farfelues, qui, au bout du compte, se révèlent indéfendables à tête reposée. Je m'imagine très bien la scène ; 'Et si on prenait deux bus, qu'on les coupait en deux et qu'ensuite on les recollait l'un sur l'autre, comme ça on aurait deux bus fixés dos à dos qui rouleraient !' ou bien : 'Hé, et si on formait des mots à partir de tiges de bambou pour ensuite y mettre le feu et filmer le résultat ?' Ouais, super idée, mais comment ?
La différence entre Stefan et nous, c'est que non seulement il a ces idées formidables, mais qu'il semble ne jamais devoir 'se réveiller' pour finalement conclure : 'Ouais, bon, d'accord'. Il possède ce talent incroyable pour les choses qui se réalisent. En fait, je me demande s'il lui arrive même d'avoir des idées indéfendables. Il est bien trop intelligent, tenace et persuasif pour permettre au brio de son imagination de se laisser réprimer par quelque chose d'aussi prosaïque que la faisabilité. J'en ai même fait brièvement l'expérience moi-même quand, lors d'une conférence, nous avions improvisé une situation humoristique pour une des présentations de la journée. En l'espace de quelques minutes, il était parvenu à persuader trois participantes de se laisser photographier seins nus ainsi qu'un vénérable représentant de la scène du design (un allemand, en plus !) de poser assis sur les toilettes, le pantalon baissé. Moi, j'étais chargée de la troisième partie : obtenir d'Éric Spiekermann qu'il pose avec une inscription écrite au rouge à lèvres sur le torse et j'ai échoué dans cette simple tâche. Si j'étais employée dans l'agence de Stefan, je suis sûre qu'il m'aurait congédiée.
Non seulement Stefan sait trouver les personnes capables de l'assister, mais il est aussi le directeur artistique accompli au coeur de chaque projet, expérimentant et explorant sans cesse les options possibles qui garantiront un résultat parfait. Et naturellement, il se retrouve souvent en train de se débattre avec du scotch isolant argenté dans une piscine, de se balancer au bord d'une fenêtre et de grimper sur des toits avec des herbes et des feuillages. En définitive, dans chaque situation, il va jusqu'au bout de son projet. Les idées sont treize à la douzaine; nous sommes tous des créatifs…, mais combiner ainsi des idées non seulement bonnes mais même excellentes et les mettre à exécution de manière aussi géniale est particulièrement rare et nous avons la chance d'en profiter.
L'essentiel de son travail s'articule autour de l'idée de la transformation. Ainsi, il imagine des messages qui disparaissent ou se modifient avec le temps; de la photographie, des matériaux, des effets et des films qui parlent de la notion d'éphémère, de transformation et de dissolution. Rien n'est tel qu'il y paraît et demain sera peut-être différent encore. Son travail n'est jamais prévisible. Tandis que l'idée est souvent simple, sa réalisation requiert généralement beaucoup de travail ou alors elle est complexe d'un autre point de vue et rien de tout ceci n'échappe au visiteur. Là où il serait possible de passer de longues heures et de dépenser une forte somme d'argent pour aboutir à un résultat banal, le travail de Stefan ne manque jamais d'enchanter et de surprendre. Son travail a une dimension ludique, joyeuse et belle sur un fond d'intelligence a l'état pur; il nous rend curieux et heureux mais, en fin de compte, il nous convainc. Il est le chef moléculaire du Steakhouse.
Bien qu'il ait flirté avec le monde de l'art, Stefan demeure un designer : ses méninges remuent dès que le client appuie sur la détente mais sa cible et son but sont bien sa vision personnelle. A mon avis, ceci a son importance car ce travail fascinant atteint son public d'une manière qui serait peu probable s'il pratiquait les beaux-arts…


P.167
Stefan est une pop star - Mieke Gerritzen
(…) 
De nos jours, au XXIème siècle, le graphisme ne se limite plus à la conception d'imprimés; il s'est élargi désormais à un domaine en grande partie conceptuel qui lie diverses disciplines entre elles par l'image, via les médias. Tout ce qui nous entoure est en train de devenir média et le média est en train de devenir image.
Aujourd'hui nous communiquons bâtiments, voitures, personnes et choses...

mercredi 12 octobre 2011

LUCAS (Gavin), Guérilla publicitaire, Paris, Pyramyd, 2011, traduction française 2011.

LUCAS (Gavin), Guérilla publicitaire, Paris, Pyramyd, 2011, traduction française 2011.

(à propos de l'auteur voir aussi : 

Creative review

Laurence King Publishing
"Gavin Lucas is Staff Writer at the leading monthly communication arts journal Creative Review. He is the author, with Michael Dorrian, of Guerrilla Advertising: Unconventional Brand Communication.")



P.8
"Les progrès de la technologie nous offrent des façons toujours plus complexes et sophistiquées de communiquer, d'accéder aux informations et de les partager. Difficile de croire qu'il y a cinq ans, Facebook et Twitter étaient inconnus du grand public… qu'Apple n'avait pas encore sorti son premier téléphone portable, l'iPhone. Difficile également d'imaginer que dans cinq ans, Facebook, Twitter, liPhone et l'iPad auront peut-être été détrônés par de nouvelles technologies et de nouveaux concepts qui sembleront plus utiles ou pertinents pour nos futurs modes de vie."

"Marques et publicitaires doivent surmonter un défi permanent : le parasitage que constitue simplement les formes évidentes et établies de publicité dans la vie effrénée des consommateurs d'aujourd'hui. 'si nous nous entêtons à croire que nous faisons de la pub, nous ne ferons pas de vieux os', prévenait Ty Montague, alors co-président et directeur de la création à JWT New York, dans l'avant-propos du premier livre consacré à la guérilla publicitaire."

p9
"La prédiction de Montague, qui clamait que les agences de pub traditionnelles seraient forcées de laisser tomber leurs formules éculées pour de nouvelles méthodes de communication, est en train de se réaliser."…

"La pub est devenue un fourre-tout où sont reléguées pêle-mêle les différentes approches de la communication publicitaire avec lesquelles les agences doivent désormais composer : le marketing publicitaire, expérientiel, d'ambiance, télévisuel, dans la presse, numérique et intégré, à 360º, ou encore le guérilla marketing."

"Ce bouleversement s'opère à un tel rythme que l'industrie de la publicité ne peut s'en tenir à des formules comme elle l'a fait durant la deuxième moitié du XXè siècle, où régnait le spot publicitaire de trente secondes."

" Tous ces gadgets miniaturisés (iPhones et autres smartphones) permettent de regarder la télévision, d'accéder à sa messagerie, de chercher et d'ouvrir des liens vers un contenu suffisamment séduisant pour capter  notre intérêt, mais aussi de créer et de partager notre propre contenu…où que l'on se trouve."

p. 9-10
" Les consommateurs peuvent également utiliser leurs ordinateurs pour acheter des produits en ligne. Les marques ont compris qu'elles pouvaient offrir des services via ces dispositifs et communiquer de façon vraiment utile avec leurs clients. Des centaines de milliers d'applications (les 'apps') pour liPhone sont téléchargées chaque semaine sur l'App Store d'Apple, notamment des jeux et outils pratiques pour profiter des ses fonctionnalités : écran tactile, accéléromètre, appareil photo ou GPS intégré.(…)les publicitaires s'y intéressent beaucoup. L'agence londonienne Brothers and Sisters, par exemple, a créé une application iPhone intelligente qui emploie Google Maps et la technologie du balisage géographique pour associer des images historiques de Londres et des collections d'art et de photographie du Musée de Londres à des lieux qui existent réellement sur la carte (voir p. 90-95). Les visiteurs peuvent également, pour chaque site, cliquer sur le bouton ' vision en 3D ' : l'application reconnait instantanément la localisation de l'utilisateur et superpose l'image historique à celle de l'appareil photo de l'Iphone."

p.10-11
" Ce serait pourtant se tromper lourdement que de croire que la pub télé est morte et enterrée.(…) grâce à la spécialisation des chaînes, les publicitaires peuvent s'adresser directement au public ciblé. En outre, la télévision numérique offre de nouvelles possibilités. Une publicité apparemment traditionnelle peut inciter l'utilisateur à explorer le contenu interactif en appuyant sur un bouton de la télécommande…
La campagne ' Danse ' de Saatchi and Saatchi pour T-Mobile (voir p.178-179) illustre ce type d'approche. Dans la matinée du 15 janvier 2009, une dizaine de danseurs, se fondant dans la foule des centaines d'usagers passant par la gare londonienne de Liverpool street, ont accompli un numéro en direct sur un medley de tubes incontournables des boites de nuit, diffusé sur le système d'intercommunication de la station. Des caméras cachées ont filmé l'événement… ainsi, que les réactions spontanées des usagers. Quarante-huit heures plus tard, un film de trois minutes était diffusé à la télévision, occupant une pause entière pendant l'émission Celebrity Big Brother sur Channel 4. Après cette première diffusion, une version de soixante secondes est passée pendant dessus semaines, suivie de pubs intégrant des informations spécifiques sur le produit et son prix. Les spectateurs étaient incités à appuyer sur le bouton rouge de leur télécommande pour visionner des bonus.
En parallèle, T-Mobile a créé une chaîne You Tube oú les utilisateurs pouvaient poster leurs vidéos et visionner des films de célébrités en train d'apprendre la danse de T-Mobile auprès du choréraphe Bryony Albert. Toute les variantes de la campagne portaient le slogan ' Life's for sharing ' (la vie, c'est le partage) : Le réseau de T-Mobile offre à ses clients le moyen de partager les moments importants de la vie…
Comme le montre cette campagne, la communication publicitaire porte de moins en moins sur la transmission de messages et de plus en plus sur l'implication et l'interaction sociale. Les marques cherchent à alimenter les communautés de consommateurs fidèles. Et pour se faire elles doivent comprendre leur public.(…) Si on ne perçoit pas correctement ses besoins, envies, aspirations, comment retenir son attention, gagner son respect, et, en dernier lieu, le persuader d'investir dans ce que l'on a à offrir ?"

p.11
" S'il est plus complexe encore à orchestrer, le traitement de la communication publicitaire par les mass media n'est jamais redondant. Dans ce livre, sont présentées plusieurs campagnes qui, bien qu'installées dans des lieux spécifiques (choisis en fonction de leur taux de fréquentation), ont été conçues pour impressionner ou attirer suffisamment l'attention de la presse et ainsi atteindre un public plus large. Par exemple, la campagne ' l'équipe impossible ' de TBWA Berlin pour Adidas (présentée pages 154-155) montrait les sculptures géantes de onze footballeurs européens de haut niveau (tous sponsorisés par Adidas, bien entendu) dans le hall de la gare centrale de Zurich pendant toute la durée de l'Euro 2008. D'après les autorités ferroviaires suisses, 13 millions de personnes environ seraient passées par cette gare au cours des trois semaines que durait le championnat. L'installation gigantesque était impossible à rater. De nombreux médias comme la BBC, le Financial Times, Die Welt, La Gazetta delà Sport, Le Parisien, et NRC Handelsbald. ont relayé l'événement sur la page d'accueil de leurs éditions en ligne, et des dizaines, si ce n'est des centaines de blogs à travers le monde en ont parlé. "

" A une époque où les médias et internet mettent la main sur le monde, les campagnes de pub doivent redoubler d'ingéniosité et de pertinence pour impressionner et attirer le public souhaité. Si elles échouent, le public, c'est-à-dire nous, ne manquera pas d'investir ces mêmes espaces pour conspuer leurs efforts au lieu de les acclamer. "



Liens vers les projets


dimanche 6 février 2011

ROUACH (Daniel), La Veille technologique et l'intelligence économique, Paris, PUF, Que sais-je ?, 1996, 5è édition mise à jour, 2010.

ROUACH (Daniel), La Veille technologique et l'intelligence économique, Paris, PUF, Que sais-je ?, 1996, 5è édition mise à jour, 2010.


p.5
« (...) la veille conduit à transférer DES CONNAISSANCES DE L'EXTERIEUR VERS L'INTERIEUR de l'entreprise, (...) »

p.6
« Le plus impressionnant est le travail de collecte des grandes sociétés de commerce japonaises, les sogo shohas. Celles-ci opèrent avec minutie et précision, grâce à une toile de réseaux tissée à l'échelle mondiale.
Le Japan Information Center on Science & technology publie chaque année plus de 1 500 000 synthèses ou résumés destinés aux entreprises.
Le stockage de l'information est un des domaines où excellent les japonais qui ont donné un nom à cette religion de l'information : la kodojoho shakai qui signifie : " société de haute information ". »


p.9
Chap. 1
L'Intelligence économique
« Elle est avant tout la rencontre entre l'ignorance et la volonté de s'affranchir de cette ignorance. » BESSON (P.), Introduction à l'intelligence économique, Chlorofeuille, 1994.

p.10
« Dans un entretien accordé aux cahiers de la compétitivité daté du 13 juin 2007, Alain Juillet précise que : " le concept d'intelligence économique est nouveau. Défini et formalisé depuis vingt ans, ce concept s'est progressivement implanté, car il correspond à une vraie nécessité. Par ailleurs, les outils informatiques ont été mis en place il y a quelques années seulement. On peut dire que l'intelligence économique est la fille de la mondialisation et des nouvelles technologies de l'information. »

p.10
« L'intelligence économique peut être définie comme l'ensemble des actions de recherche, de traitement, de diffusion et de protection de l'information utiles aux différents acteurs économiques. Ces acteurs sont conçus comme un système global destiné à inspirer la stratégie de la direction générale de l'entreprise, tout comme à informer en continu et à innerver ses différents niveaux d'exécution, afin de créer une gestion offensive et collective de l'information, qui devient une richesse principale. » Rapport du groupe présidé par Henri Martre, La Documentation française, 1994.

p.12
L'Importance fondamentale de l'intelligence économique.
« Depuis des siècles, les progrès scientifiques, les avancées technologiques reposent sur une sédimentation des connaissances dont le transfert se fait vers les utilisateurs par des processus variés parmi lesquels la publication écrite (journaux scientifiques, rapports, comptes rendus de colloque, sites internet...) prend une large place. Cette structuration de diffusion de l'information subit, depuis quelques dizaines d'années, des modifications profondes sous l'effet de l'augmentation du volume des travaux publiés et sous l'effet des techniques de diffusion. »

p.13
« D'autre part, les coûts de la recherche et de développement deviennent de plus en plus élevés : dupliquer une recherche, s'orienter vers des voies sans issue, se laisser surprendre par des concurrents n'est plus acceptable. »

p.14
« La maîtrise de l'information ne concerne plus seulement les produits, les clients, les technologies, les fournisseurs, mais aussi la détection des zones d'ignorance (points aveugles par où peut venir la rupture stratégique) ou des nouveaux entrants (mieux vaut acheter bon marché une start-up innovante que de payer cher une société plus grosse). »

p.15
« Un défi supplémentaire est la révolution numérique. Avec Gutenberg, l'écrit supplantait l'oral dans la gestion de l'information. Avec internet, les organisation passent du papier à l'électronique. L'information, qui était autrefois diffusée au goutte-à-goutte dans les entreprises, est aujourd'hui distribuée à torrents par internet et les intranets. travailler  plus et mieux n'est pas suffisant. Il faut pratiquer de nouveaux médias de communication (comme le courrier électronique, les forums de discussion) et de nouveaux outils (les logiciels d'analyse sémantique de cartographie de l'information, les agents intelligents). »

p.16
Liste de sites sur l'intelligence économique et la veille technologique :

lemondedurenseignement.hautetfort.com/
www.ie-news.com
www.spyworld-actu.com/
www.infoguerre.com
www.ihedn.fr
www.industrie.gouv.fr
www.ege.fr
http:/c.asselin.free.fr

Revues spécialisées en intelligence économique :

Regards sur l'IE
Global Security
Veille Magazine
Technologies internationales (ADIT)
Archimag


p.18
chap.2
La Veille technologique
« Elle est comme le dit Steven C. Wheelwright : constituée par l'ensemble des techniques visant à organiser de façon systématique la collecte, l'analyse, la diffusion de l'exploitation des informations techniques utiles à la sauvegarde et à la croissance des entreprises. »

p.19
« L'information recherchée relève des différents services de l'entreprise qui participent au processus de développement de produits : recherche et développement; finance, marketing, production, vente, etc.
Dans une interprétation restrictive, la veille technologique n'est qu'un recueil passif d'informations technologiques. L'intelligence économique regroupe les deux types de recherche d'informations active et passive, dans toutes les activités de l'entreprise. »

p.20
Un tableau décrit les différents types de veille ;
associée à la recherche et au développement, on trouve la veille technologique. Existe aussi la veille marketing, la veille financière, la veille production, et la veille commerciale.

p.21
Objectifs de la veille technologique :
« La détection des signaux faibles, (...) »

« Le premier pôle (marché) de la méthode est centré sur l'analyse concurrentielle. (...)
Les résultats de cette analyse sont intégrés dans le deuxième pôle (technologie) qui évalue les technologies en analysant leurs conditions d'accès, leurs rythmes et leurs potentiels de progrès.
Le Troisième pôle (stratégie) confronté aux deux premiers évalue la stratégie de l'entreprise par une analyse intrasectorielle. Celle-ci permet d'identifier des groupes d'entreprises poursuivant des stratégies comparables, à partir d'une description analytique discriminante des stratégies des concurrents.
Le dernier pôle (produit) permet d'étudier les produits futurs dans leurs fonctions et leurs valeurs. L'articulation particulière des pôles permets la conduite et l'orientation des recherches d'informations provenant des résultats d'études bibliométriques et de groupes de travail d'experts. »


« Les signaux isolés, sporadiques... doivent être détectés par les veilleurs technologiques, c'est l'objectif essentiel de la veille technologique. »




dimanche 9 janvier 2011

FROMMER (Franck), La Pensée PowerPoint : Enquête sur ce logiciel qui rend stupide, Ivry/Seine, La Découverte, Cahiers libres, octobre 2010.

Buzz à propos de l'ouvrage :
FROMMER (Franck), La Pensée PowerPoint : Enquête sur ce logiciel qui rend stupide, Ivry/Seine, La Découverte, Cahiers libres, octobre 2010.

Texte présentant l'ouvrage, issu du site de la maison d'édition :
« Qui est aujourd'hui l'ennemi numéro un de l'armée américaine ? Les Talibans ? Al-Qaida ? L'Iran ? Non, l'ennemi, c'est PowerPoint, comme l'a affirmé, en avril 2010, le général des Marines James N. Mattis, selon lequel « PowerPoint nous rend stupides ».
Apparu en 1987, ce logiciel destiné à fabriquer des présentations visuelles pour soutenir des exposés oraux est devenu en quelques années un outil indispensable de communication dans le monde de l’entreprise. Un outil dont le succès a dépassé les espérances de ses créateurs car, de fait, plus aucun domaine d’activité n’est épargné aujourd’hui par le défilement des slides animé et la succession des « bullet points » : du conseil d’administration aux assemblées municipales, de la publicité aux nouvelles technologies, des ministères à l’école ou à l’hôpital.
Franck Frommer présente la première enquête sur ce logiciel devenu incontournable. L’auteur, qui évolue depuis des années dans la « culture ppt », a visionné des centaines de présentations et analysé en profondeur la « pensée » PowerPoint, avec ses listes à puces, ses formules creuses et sa culture du visuel à tout prix. Où il apparaît que PowerPoint se révèle une puissante machine de falsification et de manipulation du discours, transformant souvent la prise de parole en un spectacle total où la raison et la rigueur n’ont plus aucune place. Plus grave, ce logiciel a fini par imposer de véritables modèles de pensée issus du monde de l'informatique, de la gestion et de la communication. Des modèles diffusés par des consultants à l'ensemble des activités sociales, distillant une novlangue particulièrement indigente qui n’a pas d’autre effet que de nous rendre … stupides.
Après la parution de ce livre, M. Chem Assayag nous a signalé qu'il avait lui-même publié en 2005, sur son blog, un bref article également intitulé « La pensée PowerPoint », ce qu'ignoraient aussi bien l'auteur que l'éditeur. Même si un tel titre ne peut prétendre à l'originalité, c'est bien volontiers que nous indiquons l'adresse de cet article : http://www.agoravox.fr/actualites/societe/article/la-pensee-powerpoint-3305 »

http://www.editionsladecouverte.fr/catalogue/index-La_pensee_PowerPoint-9782707159533.html 



 M. Chem Assayag n'est sans doute pas le seul à revendiquer le fait d'avoir déjà traité le sujet « Powerpoint. » Ainsi, sur wikipedia, on peut lire :

« Critiques de PowerPoint
Une principale source de critiques de PowerPoint vient d'Edward Tufte, un professeur de statistiques et de conception graphique, retraité de l'Université Yale. Il critique de nombreuses propriétés émergentes de l'application[7]:
    •    elle est utilisée pour guider et rassurer le présentateur, davantage que pour donner des indications à l'auditoire ;
    •    des tableaux et graphiques inutilisables en raison de la trop basse résolution de l'affichage de l'ordinateur ;
    •    l'outliner entraînant une hiérarchisation inutilement complexe des idées, elle-même faussée par le besoin de réaffirmer la hiérarchisation sur chaque diapo ;
    •    la progression linéaire forcée à travers cette hiérarchie (alors qu'avec les dossiers sur papier, les lecteurs pouvaient parcourir et associer les éléments à loisir) ;
    •    les choix typographiques douteux et les mises en page malhabiles conçues par des présentateurs sans compétences graphiques ;
    •    une pensée simpliste dont les idées sont écrasées dans des listes étriquées, et des synopsis avec un début, un milieu et une fin ;
    •    une image d'objectivité et de neutralité que l'on tend à associer à la science, à la technologie, et à confondre avec un argument massue.
Au bout du compte, chaque présentation ressemble à celle du voisin, étant donné la pauvreté de la bibliothèque de modèles fournis.
La critique de Tufte sur l'usage de PowerPoint s'est étendue à son usage par les ingénieurs de la NASA lors des événements qui ont conduit au désastre de Columbia. L'analyse de Tufte d'une planche PowerPoint standard de la NASA est incluse dans une pleine page intitulée « L'enginierie par les Viewgraphs »[8], dans le Volume 1 du rapport d'enquête sur l'accident de bord de Columbia.
Le général en:James Mattis « Power Point nous rend stupides ! », « Il y a des problèmes dans le monde qui ne sont pas bullet-izable, c'est dangereux parce que cela créé une illusion de compréhension, et c'est l'illusion qui demeure »[9].
Franck Frommer dans son ouvrage « La Pensée Powerpoint : enquête sur ce logiciel qui rend stupide »[10] dénonce, de son côté, le formatage par le bas de la pensée auquel ce logiciel contribue, en créant les conditions d'une certaine analphabétisation [11] »

[7]  - Edward Tufte. The Cognitive Style of PowerPoint: Pitching Out Corrupts Within (Second edition). Graphics Press, 2006.
[10] - La Découverte, 2010.
[11] - Le Monde Magazine n° 57, 16/10/2010, p. 30 et suiv.
 
http://fr.wikipedia.org/wiki/Microsoft_Office_PowerPoint#Critiques_de_PowerPoint





« Dans un livre intitulé La Pensée PowerPoint : Enquête sur ce logiciel qui rend stupide, Franck Frommer questionne l'impact du logiciel de présentation de Microsoft sur notre mode de pensée. Une critique qui n'est pas neuve, mais les choses auraient même empiré. Qu'en pensez-vous ?

Le montage vidéo, accessible directement dans Powerpoint 2010.
Microsoft
PowerPoint nous rendrait-il stupides ? C'est la question que pose Franck Frommer, ancien journaliste entré en communication il y a une vingtaine d'années, dans son livre La Pensée PowerPoint : Enquête sur ce logiciel qui rend stupide, paru le 7 octobre. Il y dénonce les effets insidieux de ces présentations formatées sur notre façon de penser : une nouvelle culture business où la forme prend le pas sur le fond, la simplification est la règle, la manipulation de l'auditoire une discipline qui s'apprend. Son propos n'est pas une critique du logiciel, mais de l'usage qui en est fait et des travers qu'il révèle sur le monde de l'entreprise.
"Pour faire entrer ce que l'on veut dire dans le cadre très contraignant de la dizaine de maquettes proposées, il faut couper, recouper les phrases, éliminer tous les liens logiques. Bon nombre d'ingénieurs, de managers, de financiers se plaignent de passer des heures à "faire de la slide" plutôt que de se consacrer à leur activité de base", explique l'auteur dans une interview au journal Le Monde.
Cela fait en effet bien longtemps que les présentations Powerpoint ne sont plus réservées aux seuls consultants. Les cadres, comme les créateurs d'entreprise, en sont passé maîtres pour vendre leurs idées. Ainsi Rafi Haladjian, cofondateur de Violet (créateur du Nabaztag), écrivait en 2003 dans un livre intitulé Devenez beau, riche et intelligent, avec PowerPoint, Excel et Word, qui revenait sur son aventure de pionnier de la nouvelle économie : "PowerPoint était l'outil par excellence pour lyophiliser votre projet et le servir chaud en quarante-cinq minutes à ceux qui tenaient les cordons de votre avenir. Selon le ratio traditionnel de trois minutes par slide, la complexité du monde et du business devait pouvoir se décrire en quinze tableaux, écrits en grand. En quinze pages écrites en grand, toutes les histoires ressemblent à des livres pour enfant de trois ans."
Ses critiques à l'égard de l'outil de présentation de Microsoft sont les mêmes que celles de Frommer aujourd'hui. "De clic en clic, il passe de slide en slide et ses petits rots de pensée s'emboîtent. Son discours semble évident, automatique. La présentation PowerPoint devient un outil de domination et d'anesthésie. Si la religion était l'opium du peuple, PowerPoint est celui du cadre." En résumé, "De tous nos outils, PowerPoint est aujourd'hui celui qui structure le plus notre façon de penser." »

http://www.lexpansion.com/high-tech/l-intelligence-est-elle-soluble-dans-powerpoint_240893.html



« (...) Mais, la rébellion gagne du terrain – certains parlent de “mort par PowerPoint” - et il y a même un général qui les interdit.
D’après le général en question le danger tient à “l’illusion” qu’on peut comprendre quand c’est sur une diapo et qu’on peut contrôler la situation.
L’exposition linéaire – une diapo à la suite de l’autre – n’encourage ni les discussions ni la réflexion critique. Elles permettent aussi d’éviter d’attribuer clairement les responsabilités. Il suffit pour le comprendre de voir celle qui a été utilisée pour convaincre de la facilité avec laquelle serait gagnée la guerre en Iraq .
Un autre général a déclaré “PowerPoint nous rend idiots”
Mais l’auteur de l’article du NYT insiste pour dire que de telles pratiques ne sont pas sur le point de disparaître.
J’ajouterai que ça n’est pas le PowerPoint de Microsoft qui est en question. Key noté d’Apple a exactement le même effet. Ce qui est en question c’est l’usage que nous en faisons.
La force du procédé tient au fait que les gens réagissent particulièrement à l’image, à ce qu’ils voient. Ses limitations proviennent du fait que nous les utilisons mal et ne savons pas nous en détacher.
J’oubliais… les militaires américains semblent d’accord pour dire que les présentations power point marchent très bien lors de leurs briefing pour journalistes. C’est à dire quand leur objectif n’est pas de donner des infos. Ils en apprécient alors le pouvoir hypnotique… »
Blog de Francis Pisani, journaliste indépendant,
http://pisani.blog.lemonde.fr/2010/05/06/du-danger-des-presentations-power-point/



Voir aussi Télérama , « PowerPoint, le logiciel qui ne souffre pas la contradiction », n°3171, 23-29 octobre 2010, p.24


Quelques liens de conseils à propos de Powerpoint:
Faire un Powerpoint à l'américaine
Garrreynolds
Exemples de docs Powerpoint 

lundi 30 août 2010

MONDZAIN (Marie-José), L’image peut-elle tuer ?, paris, Bayard, 2002.

MONDZAIN (Marie-José), L’image peut-elle tuer ?, paris, Bayard, 2002.
P.13
Qui refuserait de voir en l’image l’instrument d’un pouvoir sur les corps et les esprits ? Ce pouvoir, conçu durant vingt siècles de christianisme comme libérateur et rédempteur, est soupçonné à présent d’être l’instrument de stratégies aliénantes et dominatrices. On traite même l’image de « pousse-au-crime »(...)

P.31-33
Ce n’est plus la parole tragique comme chez les Grecs mais l’image qui apaise la violence de toutes nos passions. Seule l’image peut incarner, tel est l’apport principal de la pensée chrétienne. L’image n’est pas un signe parmi d’autres, elle a un pouvoir spécifique, celui de faire voir, de mettre en scène des formes, des espaces et des corps qu’elle offre au regard. puis que l’incarnation christique n’est rien d’autre que la venue au visible du visage de Dieu, l’incarnation n’est rien d’autre que le devenir image de l’infigurable. C’est cela incarner, c’est devenir une image, et très précisément une image de la passion. Mais cette puissance d’apaisement est-elle le fait de toute image quels qu’en soient la forme et le contenu ? Justement pas (...) La seule image qui possède la force de transformer la violence en liberté critique, c’est l’image qui incarne.(...)
Incarner, c’est donner chair et non pas donner corps. C’est opérer en l’absence des choses. L’image donne chair, c’est à dire carnation et visibilité, à une absence, dans un écart infranchissable avec ce qui est désigné. Donner corps au contraire, c’est incorporer, c’est proposer la substance consommable de quelque chose de réel et de vrai à des convives qui se fondent et disparaissent dans le corps auquel ils se sont identifiés(...) L’institution écclésiastique est en ce domaine d’autant plus précieux qu’elle a pratiqué les deux choses.


P.41
 Cependant, en tant qu’institution temporelle voulant prendre un pouvoir et le conserver, l’Eglise a agi comme tous les dictateurs, elle a produit des visibilités programmatiques faites pour communiquer un message univoque. Dès lors, l’imagerie sert les opérations d’incorporation, l’image est absorbée comme une substance à laquelle l’incorporé s’identifie, avec laquelle il fusionne sans réplique et sans mot.


P.43
Il faut bien admettre que la violence dans le visible concerne non pas les images de la violence ni la violence propre aux images, mais les violences faites à la pensée et à la parole dans le spectacle des visibilités. Considéré sous cet angle, la question de la censure devient un faux problème, qui fait courir le risque de retomber dans une dictature des passions, où l’on décide qu’il y a de bonnes et de mauvaises images en fonction de leur contenu.


P.45-46
 Ne pas savoir initier un regard à sa propre passion de voir, ne pas pouvoir construire une culture du regard, voilà où commence la vraie violence à l’égard de ceux qu’on livre désarmés à la voracité des visibilités. Il revient donc à ceux qui font des images de construire la place de celui qui voit et à ceux qui font voir les images des premiers de connaître les voies de cette construction.(...)
Y a-t-il des formes de visibilité qui maintiennent les sujets dans les ténèbres des identifications mortifères alors que d’autre images, qui peuvent être lourdes de contenus tout aussi violents, permettent de construire du sens en évitant toute confusion ? Faut-il distinguer de bonnes et de mauvaises images non plus à partir de leur contenu, puisque l’image du mal peut guérir, mais de la symbolisation qu’elles induisent ? Poser la question ainsi permet de comprendre pourquoi l’image de la vertu ne rend pas vertueux tout comme celle du crime ne rend pas criminel.


P.47
 La propagande et la publicité qui s’offrent à la consommation sans écart sont des machines à produire de la violence même lorsqu’elles vendent du bonheur ou de la vertu. La violence du visible n’a d’autre fondement que l’abolition intentionnelle ou non de la pensée et du jugement.


P.48
 La nouvelle situation des visibilités vient de ce que, depuis l’intervention du cinéma et de la télévision, un flux considérable et toujours croissant de visibilités sert simultanément le monde de l’art et celui de la consommation.


P.49
L’écran n’est pas un espace fictif et c’est un lieu de la fiction. Il est la condition des opérations fictionnelles.


P.50
(...) la nature d’une fiction dépend-elle de la qualité du regard des sujets qui regardent ou de la qualité de l’objet qui fut donné à voir ? Il n’y a pas de réponse univoque à une telle question.


P.51
Plus cette place sera construite dans le respect des écarts, plus les spectateurs seront en mesure de répondre à leur tour d’une liberté critique dans le fonctionnement émotionnel du visible. C’est sans doute en ces termes qu’il faut aborder l’éducation des regards. Un enfant peut tout voir à condition d’avoir eu la possibilité de construire sa place de spectateur. Or cette place est longue à construire. Il faut donc en conclure qu’un enfant ne peut pas tout voir s’il n’est pas soutenu par la parole de ceux qui voient avec lui et qui eux-mêmes doivent avoir appris à voir.


P.53
L’écran instaure un nouveau rapport entre la mimésis et la fiction. Faut-il redire cette chose triviale, d’évidence, que l’écran n’est pas une scène ?


P.54
Quelle est la nouvelle donne de l’imaginaire quand il y a écran, et sur cet écran un flux qui ne répond plus du traitement de la distance ? La bonne distance ou la place du spectateur est une question politique. La violence réside dans la violation systématique de la distance.


P.55-56
Les enfants sont aujourd’hui invités à serrer la main d’un Mickey géant et à cohabiter dans leur chambre avec tous les simulacres mercantiles qui envahissent l’espace domestique, scolaire et ludique. Un monde de fantômes en peluche ou en plastique prolonge celui des écrans, prend place parmi les choses dan l’indistinction croissante entre la présence des choses et celle des corps.


P.61
Si le spectateur d’un crime devient criminel, c’est parce qu’il n’est justement plus spectateur. Il n’y a que ce qui rend bête qui rend méchant. Sous le régime identificatoire et fusionnel, même le spectacle de la vertu rend criminel tout comme celui de la beauté peut donner lieu à la pire hideur. Voilà la vraie violence, c’est le meurtre de la pensée par les imageries tyranniques. Les saintes images en ont rendu plus d’un inquisiteur et meurtrier.


P.78
Le propagandiste ne se contente pas d’user de symboles et d’emblèmes déjà existants, mais il les surdétermine afin d’imposer un régime univoque d’interprétation et de manipuler ensemble le désir de tuer et celui de mourir. C’est ainsi qu’on fabrique le fanatisme dans les visibilités cultuelles de l’idolâtrie.


P.83-84
Pour que la personnification soit opératoire, il faut qu’un accord se fasse sur les signes et les emblèmes de sa lecture ou de son inscription dans le visible. Si la justice est figurée, elle pourra être une belle femme aux traits paisibles et à la posture équilibrée, elle posera une main sur un glaive et, de l’autre, elle tiendra une balance; je peux illustrer son triomphe par une couronne royale, et son indépendance en lui ôtant toute pesanteur, la laissant flotter dans l’éther. Cette imagerie est pour un Chinois totalement illisible car elle doit tout son pouvoir métaphorique à un discours, à des usages de signes dans une culture. La signalétique est l’équivalent d’un discours pris dans le champ de la communication. Toute bande-son prend en charge la question de la prosopopée et implique la gestion émotionnelle du désir d’entendre la voix de l’image.


P.85-86
Le 11 septembre, le suspens intentionnel du son pendant la retransmission immédiate de l’effondrement des tours signifiait simultanément que le spectacle nous laissait sans voix et que le corps politique était encore incapable de produire du discours. Une sorte de sidération muette empêchait les téléspectateurs d’accéder à un sens possible dans une cohabitation des voix. Quelque chose comme une hallucination se déployait dans un espace abstrait, jusqu’à ce que le discours du corps occidental chrétien vienne placer la réception du spectacle dans les lieux contrôlables de la prosopopée. Les tours personnifiaient l’Amérique et en elle l’humanité entière victime d’une invisibilité carnassière. La puissance des mythes se substituait à la force du réel.


P.88-89
Notre relation à l’image et aux images est indiscutablement liée, dans la pensée occidentale chrétienne, à ce qui fonde notre liberté, en même temps qu’à tout ce qui met cette liberté en péril jusqu’à l’anéantir. Il est plus facile d’interdire de voir que de permettre de penser. On décide de contrôler l’image pour s’assurer du silence de la pensée, et, quand la pensée a perdu ses droits, on accuse l’image de tous les maux, sous prétexte qu’elle est incontrôlée. La violence faite à l’image, voilà la question.(...)
Il est donc impératif de prendre au sérieux la formation des regards, car toute guerre aujourd’hui devient l’occasion de livrer la guerre à la pensée elle-même.
"Il faut bien admettre que la violence dans le visible concerne non pas les images de la violence ni la violence propre aux images, mais les violences faites à la pensée et à la parole dans le spectacle des visibilités. Considéré sous cet angle, la question de la censure devient un faux problème, qui fait courir le risque de retomber dans une dictature des passions, où l’on décide qu’il y a de bonnes et de mauvaises images en fonction de leur contenu.




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Marie-José MONDZAIN, L’image peut-elle tuer ?, paris, Bayard, 2002, P.43.
Ne pas savoir initier un regard à sa propre passion de voir, ne pas pouvoir construire une culture du regard, voilà où commence la vraie violence à l’égard de ceux qu’on livre désarmés à la voracité des visibilités. Il revient donc à ceux qui font des images de construire la place de celui qui voit et à ceux qui font voir les images des premiers de connaître les voies de cette construction.(...)




P.45-46
Y a-t-il des formes de visibilité qui maintiennent les sujets dans les ténèbres des identifications mortifères alors que d’autre images, qui peuvent être lourdes de contenus tout aussi violents, permettent de construire du sens en évitant toute confusion ? Faut-il distinguer de bonnes et de mauvaises images non plus à partir de leur contenu, puisque l’image du mal peut guérir, mais de la symbolisation qu’elles induisent ? Poser la question ainsi permet de comprendre pourquoi l’image de la vertu ne rend pas vertueux tout comme celle du crime ne rend pas criminel."

P.51

"Plus cette place sera construite dans le respect des écarts, plus les spectateurs seront en mesure de répondre à leur tour d’une liberté critique dans le fonctionnement émotionnel du visible. C’est sans doute en ces termes qu’il faut aborder l’éducation des regards. Un enfant peut tout voir à condition d’avoir eu la possibilité de construire sa place de spectateur. Or cette place est longue à construire. Il faut donc en conclure qu’un enfant ne peut pas tout voir s’il n’est pas soutenu par la parole de ceux qui voient avec lui et qui eux-mêmes doivent avoir appris à voir".

P.61

Si le spectateur d’un crime devient criminel, c’est parce qu’il n’est justement plus spectateur. Il n’y a que ce qui rend bête qui rend méchant. Sous le régime identificatoire et fusionnel, même le spectacle de la vertu rend criminel tout comme celui de la beauté peut donner lieu à la pire hideur. Voilà la vraie violence, c’est le meurtre de la pensée par les imageries tyranniques. Les saintes images en ont rendu plus d’un inquisiteur et meurtrier.

P.88-90

Notre relation à l’image et aux images est indiscutablement liée, dans la pensée occidentale chrétienne, à ce qui fonde notre liberté, en même temps qu’à tout ce qui met cette liberté en péril jusqu’à l’anéantir. Il est plus facile d’interdire de voir que de permettre de penser. On décide de contrôler l’image pour s’assurer du silence de la pensée, et, quand la pensée a perdu ses droits, on accuse l’image de tous les maux, sous prétexte qu’elle est incontrôlée. La violence faite à l’image, voilà la question.(...)
Il est donc impératif de prendre au sérieux la formation des regards, car toute guerre aujourd’hui devient l’occasion de livrer la guerre à la pensée elle-même.

vendredi 27 août 2010

WOLTON (Dominique), Informer n'est pas communiquer, Paris, CNRS éditions, 2009

Dominique Wolton CNRS

WOLTON (Dominique), Informer n'est pas communiquer, Paris, CNRS éditions, 2009
" Communiquer, c'est négocier et cohabiter. Communiquer, c'est autant partager ce que l'on a en commun que gérer les différents qui nous séparent. C'est pourquoi, la communication devient une des grandes questions de la paix et de la guerre de demain. "

P. 9
Un stéréotype demeure et consiste dans le fait qu'on dit oui à l'information, à la différence de la communication qu'on pense par définition suspecte, soupçonnée de séduction, manipulation.

Or : " pas de communication sans information et la communication est plus difficile car elle pose la question de la relation, dont celle de l'autre. "

P.10
 " D'autre part : " aucune information n'existe sans un projet de communication. " Les deux sont à penser ensemble.

P. 17
XXè s. : révolution de l'information (le message)
XXIè s. : révolution de la cohabitation information/communication
Il ne s'agit plus de la révolution du message mais celle de la relation.

P.19
Les récepteurs sont de plus en plus nombreux et hétérogènes, réticents (langues, cultures; visions du Monde qui s'entrechoquent).
D'où la nécessité d'organiser une communication, un mode opératoire pour faire passer l'information.
Car, parce qu'il y a plus d'information, il y a plus d'incommunication.

P.20
L'information par oral, image, texte, données, comporte 3 catégories :
- L'information nouvelle, donnée par la presse
- L'information service, en expansion (web)
- L'information connaissance (essor des banques, bases de données)
Reste L'information relationnelle qui traverse toutes ces catégories et renvoie à l'enjeu humain de la communication.

3 raisons essentielles qui font qu'on communique :
- Le Partage
- La Séduction
- La Conviction

P.22
Le problème du récepteur : il a un rôle croissant. Le récepteur choisit, accepte, refuse, filtre, hiérarchise les messages qu'il reçoit. Il est de plus en plus actif.
Le récepteur n'a pas toujours raison, mais il oblige à passer de la "transmission" à la "négociation".

P.23-24
La négociation est inhérente à la société démocratique et plus les individus sont informés, plus ils critiquent et négocient.

Théorie de la communication de D. Wolton, en 5 étapes :
1- " La communication est inhérente à la condition humaine. Pas de vie personnelle et collective sans volonté de parler, communiquer, échanger...
2- Les êtres humains souhaitent communiquer pour 3 raisons : partager. convaincre. séduire...
3- La communication butte sur l'incommunication. Le récepteur n'est pas en ligne, ou pas d'accord.
4- s'ouvre une phase de négociation où les protagonistes,(...) négocient pour trouver un accord.
5- Le résultat quand il est positif, s'appelle la cohabitation (...)
pour éviter l'incommunication et ses conséquences souvent belliqueuses. "

P.25
" Il y a finalement deux conceptions de la communication qui s'opposent.
La première, largement dominante, insiste sur la performance des techniques comme progrès de la communication (...)
La seconde, minoritaire (à laquelle D. Wolton adhère) (...) privilégie les processus politiques à mettre en oeuvre pour éviter que l'horizon de l'incommunication (...) ne devienne source de conflit. "

P.28
Il y a une nécessité de glissement de la notion de partage à celle de la négociation et de la cohabitation.
On est loin de la "com" (volonté de plaire, séduire, convaincre) même s'il y a un désir commun que cela réussisse. En fait, la com. est l'antichambre de la communication.

P.29
Hypocrisie partagée par tous : Qui n'a jamais tenté de séduire pour communiquer ?

P.31
" De l'information la plus légère à la communication la plus mercantile, l'horizon est finalement le même : la recherche de l'autre et de la relation. "

P.34-35
En principe, l'information, c'est l'événement, ou la donnée qui perturbe un ordre précédent.
quant à la communication, elle est associée à l'idée de lien, de partage, de communion.
Or, on assiste à un renversement : avec le développement du web, l'information devient ce qui fait lien.

Hier, communiquer, c'était partager réunir, ou unir, aujourd'hui, c'est cohabiter, gérer les discontinuités.
d'où une interchangeabilité, inversion des références liées à l'information ou à la communication.


Chapitre :
Les techniques, entre émancipation et idéologie

P.40
L'idéologie technique conduite à une impasse car les outils ne résolvent pas les problèmes de communication.
Il y a une opposition entre la rapidité de transmission de l'information par la technique, avec l'incertitude et la complexité de la communication humaine.
 Aujourd'hui, la technique fascine (multiplicité d'applications), demain, ce sera la diversité des contenus.

P.50
" (...) liberté, mobilité, souplesse, vitesse, interactivité, initiative, participation, innovation, jeunesse, confiance, réactivité, contre pouvoir, émancipation, mondialisation... Trois mots résument le charme d'internet : vitesse-liberté-interactivité. Une rupture culturelle et générationnelle par rapport aux médias de masse. Le règne de l'individu, la victoire de l'information que l'on va chercher où l'on veut, quand on veut, et ce sentiment d'être intelligent, compétent, branché, capable de circuler sans avoir à demander des autorisations. En un mot avoir confiance en soi. Tout ceci est vrai. Avec Internet, on a l'impression de sortir des institutions et de leurs carcans. Tout est possible, une vraie nouvelle frontière. L'individu et l'information sont rois et pour toute cette génération c'est une "utopie politique" : traverser les pouvoirs, les structures, créer d'autres solidarités. Oser jouer l'humour et la distance, sortir d'un espace officiel surinformé, inventer un lien convivial et une forme d'utopie pour des générations, qui en ont été privées par la fin des idéologies et l'économisme dominant de la mondialisation. Un contre-pouvoir en tout cas, qui permet l'expression et la prise de parole, sans règlement ou hiérarchie."

P.51
" Contrairement à un stéréotype tenace Internet et la télévision sont (...) complémentaires, Internet permet de sortir des 'territoires' alors que la télévision, finalement les garantit."

" De toutes façons, Internet est intéressant pour les paradoxes qu'il soulève. D'une part il relance la pratique de l'écrit, et d'autre part, il la dévalorise car tout s'écrit et se diffuse, sans sélection ni hiérarchie. A la fois revalorisation et désacralisation de l'écrit. Avec un statut bizarre d'une écriture mélangée et sans sanction où l'on retrouve aussi bien de l'information-service, que des confidences, de l'expression, du témoignage... Autre paradoxe : chacun est fasciné par le volume d'informations auquel il peut accéder, mais personne ne pose la question de ce que l'on en fait socialement, au travers de la communication. "


Chapitre :
Exploits et dérives de l'information

P.80
" Vitesse et volume sont d'ailleurs pris au piège de la concurrence et contribuent à expliquer le glissement structurel vers la dégradation de l'information. "

" La lenteur c'est le temps des hommes, la vitesse celui des techniques. "

P.82
" Les récepteurs ? Impossibles à ignorer, impossibles à satisfaire. "

P.83
" La diversité culturelle est l'horizon lié à la prise en compte du récepteur. "


Chapitre :
La nouvelle frontière de l'incommunication

P.89-90
" Hier la communication était hiérarchique, réduite le plus souvent à la transmission, sans possibilité de discussion de la part du récepteur-acteur. Aujourd'hui presque tout le monde est à égalité, se répond et négocie. Trois conséquences résultent de cette rupture.
1- La communication : l'autre et la mondialisation
La reconnaissance du statut du récepteur bouleverse tout car elle légitime la question de l'altérité.(...)
On peut être connecté, notamment par Internet, en réalité juxtaposé, sans qu'il y ait cohabitation. Cohabiter c'est le résultat d'une volonté et d'une action..."

P.92
" Avec finalement les classiques stéréotypes de méfiance pour tout ce qui concerne la communication et de fascination naïve pour les nouvelles technologies. Entre appréhension et suivisme.(...)
L'autre cause probable du peu d'intérêt des élites est la crainte, infondée, de leur perte d'influence avec la communication de masse et le décentrage de la culture d'élite. "
P.93
" On y retrouve bien sûr l'appréhension à l'égard du nombre, la méfiance vis à vis de la culture et la démocratie de masse, la peur de l'image, du face-à-face et de l'altérité; la faiblesse de la culture critique pour tout ce qui concerne la technique, pourtant au moins aussi importante que la réflexion sur la science; la difficulté à reconnaître l'intelligence du récepteur. "

P.94
" Pensez la communication, c'est penser l'incommunication.
(...) reconnaître que le dialogue et la négociation, qui sont toujours 'du temps perdu', sont en réalité inhérentes aux rapports humains et sociaux. Ils font autant partie de la communication que les rares moments où les individus se comprennent.
Communiquer c'est de moins en moins transmettre, rarement partager, le plus souvent négocier et finalement cohabiter. "

P.94-95
"(...) conjuguer 2 mouvements contradictoires : la reconnaissance des identités et l'obligation de construire la cohabitation culturelle pour éviter le communautarisme.
Au niveau social, cela conduit à admettre que la plupart de nos sociétés sont multiculturelles; et que ceci est une force, et non une menace, notamment pour l'identité nationale. Les sociétés multiculturelles peuvent plus facilement penser le rapport de soi à l'autre. "

P.95
" C'est là où l'on retrouve la différence normative entre médias de masse et segmentés. Les premiers sont plus à même de refléter la diversité de la société, tout en garantissant l'identité nationale indispensable pour résister à la déstabilisation de la nation; tandis que les seconds sont beaucoup plus adaptés au fractionnement des sociétés en communauté, y compris au-delà des frontières nationales, en laissant de côté la question du lien social et la problématique de l'identité nationale. "

P. 96-97
" La laïcité comme exemple de cohabitation. Moins la laïcité de combat, telle qu'on l'a connue en France, qu'une laïcité de tolérance, à inventer. La mondialisation et le retour des religions vont relancer un débat indispensable, pour la paix dans le monde, concernant la modèle cohabitationniste de la laïcité. "

P.98-99
" Le modèle politique de la démocratie est de toute façon cohabitationniste.(...)
Il faut marcher sur deux jambes, accepter l'identité et organiser la cohabitation, au sein d'un espace plus large.(...) Cela implique un concept essentiel, mais fragile, celui de la confiance. La cohabitation suppose la confiance sinon la suspicion mutuelle, mère de tous les communautarisme, s'installe. Et la confiance requiert du temps. "

P.99-100
" Du point de vue social et culturel, surtout depuis la signature de la convention sur le respect de la diversité culturelle à l'Unesco en 2006, l'obligation est posée, du moins dans les principes, de tenir compte des diversités.(...)
"On est ici au coeur du modèle de communication que je défends : respecter les identités, organiser la cohabitation.(...)
Avec à chaque fois cette exigence, au plan national, comme à celui de la mondialisation : pas de reconnaissance des identités sans renforcement du cadre commun, sous peine de segmentation et communautarisation.


Chapitre :
Information et connaissance : l'indispensable cohabitation

P.109
" La révolution de l'information butte sur deux obstacles. Le premier,(...), concerne la communication, c'est à dire la relation à l'autre et l'incommunication. Le second n'est pas plus simple, c'est celui des connaissances. L'abondance d'informations crée impérieusement le besoins de connaissances pour les comprendre. (...) Au centre il n'y a pas seulement les scientifiques, il y a aussi les journalistes. Pas d'information-presse sans journalistes, pour les créer et surtout les légitimer. "

P.111
" (...) la démocratie ce n'est pas la suppression des corps et métiers intermédiaires, mais la validation de leur rôle et la capacité de les critiquer. Intermédiaire un contre-pouvoir, voilà le rôle des journalistes. "

P.114
" L'information est autre chose que l'opinion du public. A trop vouloir les rapprocher on réduit inévitablement la marge de manoeuvre déjà difficile des journalistes. "
" Il en est de même avec l'illusion aussi d'un 'nouveau' journalisme, lié aux nouvelles techniques. Comme si c'était la technique et le récepteur qui définissent le métier. A force de faire du 'journalisme d'ordinateur' sans jamais sortir des 'rédactions multimédia' pour aller enquêter on arrive à une perte de rapport avec la réalité. "

P.117-118
" Pas d'informations sans connaissances
(...) plus il y a d'informations, plus on a besoin de connaissances pour les expliquer et les contextualiser, sous peine de créer un monde incohérent, tyrannisé par l'événement.(...)
D'ailleurs, information et connaissance, journalistes et universitaires illustrent parfaitement la théorie de la cohabitation. Ils sont les premières figurent de la cohabitation."
p.119
" Le problème n'est pas le volume d'informations, mais les connaissances pour les traiter. "

P.122
" C'est tout l'enjeu de la diversité culturelle : arriver à organiser la cohabitation culturelle, c'est à dire les rapports entre identité et altérité. "

P. 123
" Les relations entre information - connaissance - culture - idéologie sont donc de plus en plus compliquées. Même si ce sont les mêmes techniques que l'on utilise dans le monde pour s'informer et communiquer, rendant apparemment plus facile la circulation des messages. Les mêmes outils ne signifient pas les mêmes contenus, ni surtout les mêmes rapports au monde. "

P. 124
" Quant aux journalistes dont le niveau d'éducation est nettement supérieur à ce qu'il était il y a 30 ans, ils devraient mieux comprendre que le pouvoir politique et économique n'est pas toujours l'essentiel d'une société : la connaissance, la culture et l'ouverture sur les autres civilisations sont aussi importantes. "

" 'De plus en plus vite, de plus en plus faux '. Telle est peut-être la menace la plus forte pour les journalistes. L'idéologie du direct comme symétrie de la victoire politique et culturelle du concept d'information ? Trop de vitesse. Pas assez de distance. Avec le risque du conformisme, la soumission aux récepteurs et aux modes, la segmentation des supports et des offres, la tentation de l'émotion contre le raisonnement, l'expression au détriment de la distance et du suivi. Les journalistes appliquent souvent la 'peopolisation' à eux-mêmes puisqu'ils envahissent les autres médias en fonction de leur renommée médiatique, devenant des 'cumulards'. "

P125
" Le conflit des légitimités.
(...) quel est l'enjeu ? Distinguer des logiques et organiser leur cohabitation. Eviter que tout se mélange. "

P. 130
" rien de pire, sous couvert de tenir compte du récepteur, qui dans la réalité est indifféremment le lecteur, l'auditeur, l'étudiant, le citoyen, que d'arriver justement à faire de celui-ci le détenteur, en dernier ressort, du sens et de la légitimité... Il peut y avoir autant de tyrannie à trop valoriser le récepteur qu'à l'avoir trop 'ignoré'. "


Chapitre :
Conclusion
Y-a-t-il, quelque part quelqu'un qui m'aime...

P.133
"(...) c'est par la liberté d'information que la connaissance du monde et l'esprit critique ont pu se développer. C'est par la communication que l'égalité entre les individus et le légitimité du dialogue ont pu s'imposer. Elles sont les deux faces de la grande question de l'émancipation. On les perdra ou on les sauvera ensemble.

Simplement leur rapport a changé. Si pendant le XIXè siècle, et le XXè siècle, le problème central fut celui de la construction de cette liberté d'information, facilitée par un fantastique progrès technique, le défi du XXIè siècle, tout au moins pour le début, est d'une autre nature. Il est d'organiser la cohabitation pacifique de points de vues contradictoires, dans un monde où chacun voit tout, et veut pouvoir conserver son identité et sa libre expression.

P.134
" La communication c'est l'apprentissage de la cohabitation dans un monde d'informations où la question de l'altérité devient centrale."

" Partager ce que l'on a en commun, autant qu'apprendre à gérer ce qui nous sépare. "

P.135
" Je peux résumer les cinq phases du schéma théorique qui organise mes recherches sur la communication, et souligner la vision à la fois humaniste et politique qui la sous-tend. Pas de vie individuelle et collective sans communication. Vivre c'est communiquer. Les individus communiquent, soit pour partager, séduire ou convaincre. Le plus souvent pour les trois à la fois, dans des proportions qui varient selon le temps et l'espace. ils buttent rapidement sur l'incommunication qui s'installe, commence une phase de négociation entre les points de vue contradictoires. Si cette négociation, souvent quasi-permanente, se termine bien, se construit alors la cohabitation. "

P.136
" La cohabitation n'est donc jamais une pratique naturelle, mais le résultat d'un processus fragile de négociation. C'est pourquoi informer ne suffit pas à communiquer, et pourquoi aussi, le plus souvent, sauf dans les moments rares de la vie, et de l'histoire, la plupart du temps, communiquer, c'est cohabiter. (...)
Rien n'est pire que de vouloir distinguer la bonne information de la mauvaise communication, comme si chacun, journaliste compris, n'avait pas l'intention de communiquer, partager, séduire ou convaincre, ou les trois à la fois, quand il produit et distribue une information. (...)
Deux images pour caractériser ce changement. On parlait du village global comme symbole de la technique triomphante avec Mac Luhan dans les années 1970. Après le 11 septembre 2001, ce n'est plus le village global qui prime, mais la violence du monde ouvert, l'obligation d'organiser la cohabitation culturelle. "

P.137
" L'incommunication ? Elle n'existe pas dans un modèle hiérarchique, car la communication va alors de haut en bas, sans possibilité de discussion. Elle n'existe qu'entre égaux, sinon c'est la soumission à l'autorité. C'est en cela que reconnaître l'incommunication renvoie à l'existence d'une culture démocratique. L'incommunication suppose l'acceptation de rapports humains et sociaux égalitaires. "

P.138
" Plus il y aura d'informations et de messages, plus la diversité culturelle fera entendre sa voix, et avec elle, la nécessité d'organiser la cohabitation culturelle. La diversité est un fait, la cohabitation un projet politique. "

P.139
" C'est en cela, aussi, que toute théorie de la communication contient implicitement une théorie de la société. La mienne pose l'incommunication comme horizon de la communication et valorise la cohabitation, autre manière de reconnaître l'égalité des partenaires. Elle conduit aussi à rehausser le concept de tolérance. La tolérance résulte de l'expérience que l'on fait de l'altérité.(...)

P.139-140
" Si le XXè siècle fut celui de l'information et de la communication, celui du XXIè sera beaucoup plus celui de la cohabitation et de la tolérance. Surtout lorsque les effets de l'incommunication seront davantage visibles.
La théorie de la communication défendue ici est donc, au-delà de la reconnaissance du fait de l'incommunication, une recherche de cohabitation, une invitation à l'expérience et à la tolérance. Non seulement informer n'est pas communiquer, mais communiquer n'est pas transmettre, c'est cohabiter. La communication reconnait l'indépassable altérité des êtres humains et constitue un appel à un peu plus de tolérance. "
Lu par Y.G.

RANCIERE (Jacques), Le Maître ignorant, Cinq leçons sur l'émancipation intellectuelle, Paris, Arthème Fayard, 1987, 10/18, Fait et cause, 2004-2010.

RANCIERE (Jacques), Le Maître ignorant, Cinq leçons sur l'émancipation intellectuelle, Paris, Arthème Fayard, 1987, 10/18, Fait et cause, 2004-2010.

" En 1818, Joseph Jacotot, révolutionnaire exilé et lecteur de littérature française à l'université de Louvain, commença à semer la panique dans l'Europe savante. non content d'avoir appris le français à des étudiants flamands sans leur donner aucune leçon, il se mit à enseigner ce qu'il ignorait et à proclamer le mot d'ordre de l'émancipation intellectuelle : tous les hommes ont une égale intelligence. Il ne s'agit pas de pédagogie amusante, mais de philosophie et de politique. Jacques Rancière offre, à travers la biographie de ce personnage étonnant, une réflexion philosophique originale sur l'éducation. La grande leçon de Jacotot est que l'instruction est comme la liberté : elle ne se donne pas, elle se prend. "

P.37-38
" C'est là le principe premier de l'enseignement universel : il faut apprendre quelque chose et y apporter tout le reste. Et d'abord il faut apprendre quelque chose. La Palice en dirait autant ? La palice peut-être, mais la Vieille elle dit : il faut apprendre telle chose, et puis telle autre et encore telle autre. "

P.39
" ' Tout homme qui est enseigné n'est qu'une moitié d'homme' ".
(Lettre du fondateur de l'enseignement universel au général Lafayette, Louvain, 1829, p.6.)

P.68
" Ce que peut essentiellement un émancipé, c'est être émancipateur : donner non pas la clef du savoir mais la conscience de ce que peut une intelligence quand elle se considère comme égale à toute autre et considère toute autre comme égale à la sienne. "

P.73
" C'était là un exercice essentiel de l'enseignement universel : apprendre à parler sur tout sujet, à brûle-pourpoint, avec un commencement, un développement et une fin. Apprendre à improviser, c'était d'abord apprendre à se vaincre, à vaincre cet orgueil qui se farde d'humilité pour déclarer son incapacité à parler devant autrui - cet à dire son refus de se soumettre à son jugement. "

P.93-94
" ' Je veux regarder et je vois. Je veux écouter et j'entends. Je veux tâter et mon bras s'étend, se promène à la surface des objets ou pénètre dans leur intérieur; ma main s'ouvre, se développe, s'étend se resserre, mes doigts s'écartent ou se rapprochent pour obéir à ma volonté. Dans cet acte de tâtonnement, je ne connais que ma volonté de tâtonner. Cette volonté n'est ni mon bras, ni ma main, ni mon cerveau, ni le tâtonnement. Cette volonté, c'est moi, c'est mon âme, c'est ma puissance, c'est ma faculté. Je sens cette volonté, elle est présente à moi, elle est moi-même; quant à la manière dont je suis obéi, je ne la sens pas, je ne la connais que par mes actes (...) Je considère l'idéification comme le tâtonnement. J'ai des sensations quand il me plaît, j'ordonne à mes sens de m'en apporter. J'ai des idées quand je veux, j'ordonne à mon intelligence d'en chercher, de tâtonner. La main et l'intelligence sont des esclaves dont chacun a ses attributions. L'homme est une volonté servie par une intelligence. ' "
(Journal de l'émancipation intellectuelle , t. IV, 1836-1837, Paris, 1838, p.278.)

P.96
" Et le maître s'irrite quand les disciples ouvre une école à l'enseigne de qui veut peut. La seule enseigne qui vaille est celle de l'égalité des intelligences. L'enseignement universel n'est pas une méthode de hussards. Il est vrai sans doute que les ambitieux et les conquérants en donne l'illustration sauvage. "

P.101
" C'est pour cela que la méthode socratique, apparemment si proche de l'enseignement universel, représente la forme la plus redoutable de l'abrutissement. La méthode socratique de l'interrogation qui prétend conduire l'élève à son propre savoir est en fait celle d'un maître de manège : "il commande les évolutions, les marches et les contremarches.
Quant à lui, il a le repos et la dignité du commandement pendant le manège de l'esprit qu'il dirige. De détours en détours, l'esprit arrive à un but qu'il n'avait même pas entrevu au moment du départ. Il s'étonne de le toucher, il se retourne, il aperçoit son guide, l'étonnement change en admiration et cette admiration l'abrutit. L'élève sent que, seul et abandonné à lui-même, il n'eût pas suivi cette route. ' "
(Droit et philosophie panécastique, p.41.)

P.108
" Elle (cette volonté) est le désir de comprendre sans lequel nul homme jamais ne donnerait de sens aux matérialités du langage. Il faut entendre comprendre dans son vrai sens : non pas le dérisoire pouvoir de soulever les voiles des choses, mais la puissance de traduction qui confronte un parleur à un autre parleur. C'est cette même puissance qui permet à 'l'ignorant' d'arracher son secret au livre 'muet'. "

P.120
" La leçon émancipatrice de l'artiste, opposée terme à terme à la leçon abrutissante du professeur, est celle-ci : chacun de nous est artiste dans la mesure où il effectue une double démarche; il ne se contente pas d'être homme de métier mais veut faire de tout travail un moyen d'expression; il ne se contente pas de ressentir mais cherche à faire partager. L'artiste a besoin de l'égalité comme l'explicateur a besoin de l'inégalité. Et il dessine ainsi le modèle d'une société raisonnable où cela même qui est extérieur à la raison - la matière, les signes du langage - est traversé par la volonté raisonnable : celle de raconter et de faire éprouver aux autres ce en quoi on est semblable à eux. "

P.142
" La rhétorique, on l'a dit, a pour principe la guerre. On n'y cherche pas la compréhension, seulement l'anéantissement de la volonté adverse. (...) Elle (la rhétorique) parle pour faire taire. "

P. 156- 157
" (...) dans les assemblées où l'on délibère sur la loi (...) Le succès dépend de l'adresse et de la force du lutteur, non de sa raison. C'est pourquoi la passion y est reine par l'arme de la rhétorique. La rhétorique, on le sait, n'a rien à voir avec la raison. Mais la réciproque est-elle vraie ? La raison n'a-t-elle rien à voir avec la rhétorique ? N'est-elle pas en général le contrôle de l'être parlant par lui-même qui lui permet de faire, en tout domaine, oeuvre d'artiste ? "

P.165
" Une société, un peuple, un état, seront toujours déraisonnables. Mais on peut y multiplier le nombre des hommes qui feront, comme individus, usage de la raison, et sauront, comme citoyen, trouver l'art de déraisonner le plus raisonnablement possible."

P.168
" (...) convaincre l'ignorant de son pouvoir (...) Le problème n'est pas de faire des savants. Il est de relever ceux qui se croient inférieurs en intelligence, de les sortir du marais où ils croupissent : non pas celui de l'ignorance, mais celui du mépris de soi, du mépris en soi de la créature raisonnable. Il est de faire des hommes émancipés et émancipateurs. "

P. 175
" (...) l'enseignement universel ne prendra pas, il ne s'établira pas dans la société. Mais il ne périra pas, parce qu'il est la méthode naturelle de l'esprit humain, celle de tous les hommes qui cherchent eux-mêmes leur chemin. Ce que les disciples peuvent faire pour lui, c'est d'annoncer à tous les individus, à tous les pères et mères de famille, le moyen d'enseigner ce qu'on ignore d'après le principe de l'égalité des intelligences. "

P.177
" Or, l'instruction est comme la liberté : cela ne se donne pas, cela se prend. "

P.193
" à la manière de l'enseignement universel : il avait vu, comparé, réfléchi, imité, essayé, corrigé par lui-même. "

P.194
" (...) un homme de progrès, c'est un homme qui marche, qui va voir, expérimente, change sa pratique, vérifie son savoir, et ainsi sans fin. C'est la définition littérale du mot progrès. "

P198-199
" il faut des méthodes. Sans méthode, sans une bonne méthode, l'enfant-homme ou le peuple-enfant est la proie des fictions d'enfance, de la routine et des préjugés. Avec la méthode, il met les pieds dans les pas de ceux qui avancent rationnellement, progressivement. Il s'élève à leur suite dans un rapprochement indéfini. Jamais l'élève ne rattrapera le maître ni le peuple son élite éclairée, mais l'espoir d'y arriver les fait avancer dans le bon chemin, celui des explications perfectionnées. Le siècle du progrès est celui des explicateurs triomphants, de l'humanité pédagogisée. La force redoutable de cet abrutissement nouveau, c'est qu'il mime encore la démarche des hommes de progrès à l'ancienne manière, qu'il attaque l'ancien abrutissement en des termes propres à donner le change, et à faire trébucher à la moindre distraction des esprits tout juste avertis de l'émancipation. "

P.204
" Bref, tout l'enseignement de Jacotot y est respecté à une ou deux petites choses près : on n'y enseigne pas ce qu'on ignore. " (à propos d'institutions s'étant "inspirées" de la théorie de Jacotot)

P225
" Nous savons ce qu'il signifiait : dans chaque manifestation intellectuelle, il y a le tout de l'intelligence humaine. Le panécasticien est un amateur de discours, comme le malin Socrate ou le naïf Phèdre. Mais à la différence des protagonistes de Platon, il ne connaît pas de hiérarchie entre les orateurs ni entre les discours. Ce qui l'intéresse, c'est au contraire de rechercher leur égalité. Il n'attend d'aucun discours la vérité. Celle-ci se sent et ne se dit pas. Elle fournit la règle à la conduite du parleur, mais elle ne se manifestera jamais dans ses phrases. Le panécasticien ne juge pas non plus de la moralité du discours. La morale qui compte pour lui, c'est celle qui préside à l'acte de parler et d'écrire, celle de l'intention de communiquer, de la reconnaissance de l'autre comme sujet intellectuel capable de comprendre ce qu'un autre sujet intellectuel veut lui dire. Le panécasticien s'intéresse à tous les discours, à toutes les manifestations intellectuelles, dans un seul but : vérifier qu'ils mettent en oeuvre la même intelligence, vérifier en les traduisant les uns dans les autres l'égalité des intelligences. "

P.230
" Sur sa tombe (celle de Jacotot) au Père Lachaise,les disciples firent inscrire le credo de l'émancipation intellectuelle : Je crois que Dieu a créé l'âme humaine capable de s'instruire seule et sans maître. "

Lu par Y.G.

Voir aussi les notes de mon collègue Marc Vayer