vendredi 27 août 2010

WOLTON (Dominique), Informer n'est pas communiquer, Paris, CNRS éditions, 2009

Dominique Wolton CNRS

WOLTON (Dominique), Informer n'est pas communiquer, Paris, CNRS éditions, 2009
" Communiquer, c'est négocier et cohabiter. Communiquer, c'est autant partager ce que l'on a en commun que gérer les différents qui nous séparent. C'est pourquoi, la communication devient une des grandes questions de la paix et de la guerre de demain. "

P. 9
Un stéréotype demeure et consiste dans le fait qu'on dit oui à l'information, à la différence de la communication qu'on pense par définition suspecte, soupçonnée de séduction, manipulation.

Or : " pas de communication sans information et la communication est plus difficile car elle pose la question de la relation, dont celle de l'autre. "

P.10
 " D'autre part : " aucune information n'existe sans un projet de communication. " Les deux sont à penser ensemble.

P. 17
XXè s. : révolution de l'information (le message)
XXIè s. : révolution de la cohabitation information/communication
Il ne s'agit plus de la révolution du message mais celle de la relation.

P.19
Les récepteurs sont de plus en plus nombreux et hétérogènes, réticents (langues, cultures; visions du Monde qui s'entrechoquent).
D'où la nécessité d'organiser une communication, un mode opératoire pour faire passer l'information.
Car, parce qu'il y a plus d'information, il y a plus d'incommunication.

P.20
L'information par oral, image, texte, données, comporte 3 catégories :
- L'information nouvelle, donnée par la presse
- L'information service, en expansion (web)
- L'information connaissance (essor des banques, bases de données)
Reste L'information relationnelle qui traverse toutes ces catégories et renvoie à l'enjeu humain de la communication.

3 raisons essentielles qui font qu'on communique :
- Le Partage
- La Séduction
- La Conviction

P.22
Le problème du récepteur : il a un rôle croissant. Le récepteur choisit, accepte, refuse, filtre, hiérarchise les messages qu'il reçoit. Il est de plus en plus actif.
Le récepteur n'a pas toujours raison, mais il oblige à passer de la "transmission" à la "négociation".

P.23-24
La négociation est inhérente à la société démocratique et plus les individus sont informés, plus ils critiquent et négocient.

Théorie de la communication de D. Wolton, en 5 étapes :
1- " La communication est inhérente à la condition humaine. Pas de vie personnelle et collective sans volonté de parler, communiquer, échanger...
2- Les êtres humains souhaitent communiquer pour 3 raisons : partager. convaincre. séduire...
3- La communication butte sur l'incommunication. Le récepteur n'est pas en ligne, ou pas d'accord.
4- s'ouvre une phase de négociation où les protagonistes,(...) négocient pour trouver un accord.
5- Le résultat quand il est positif, s'appelle la cohabitation (...)
pour éviter l'incommunication et ses conséquences souvent belliqueuses. "

P.25
" Il y a finalement deux conceptions de la communication qui s'opposent.
La première, largement dominante, insiste sur la performance des techniques comme progrès de la communication (...)
La seconde, minoritaire (à laquelle D. Wolton adhère) (...) privilégie les processus politiques à mettre en oeuvre pour éviter que l'horizon de l'incommunication (...) ne devienne source de conflit. "

P.28
Il y a une nécessité de glissement de la notion de partage à celle de la négociation et de la cohabitation.
On est loin de la "com" (volonté de plaire, séduire, convaincre) même s'il y a un désir commun que cela réussisse. En fait, la com. est l'antichambre de la communication.

P.29
Hypocrisie partagée par tous : Qui n'a jamais tenté de séduire pour communiquer ?

P.31
" De l'information la plus légère à la communication la plus mercantile, l'horizon est finalement le même : la recherche de l'autre et de la relation. "

P.34-35
En principe, l'information, c'est l'événement, ou la donnée qui perturbe un ordre précédent.
quant à la communication, elle est associée à l'idée de lien, de partage, de communion.
Or, on assiste à un renversement : avec le développement du web, l'information devient ce qui fait lien.

Hier, communiquer, c'était partager réunir, ou unir, aujourd'hui, c'est cohabiter, gérer les discontinuités.
d'où une interchangeabilité, inversion des références liées à l'information ou à la communication.


Chapitre :
Les techniques, entre émancipation et idéologie

P.40
L'idéologie technique conduite à une impasse car les outils ne résolvent pas les problèmes de communication.
Il y a une opposition entre la rapidité de transmission de l'information par la technique, avec l'incertitude et la complexité de la communication humaine.
 Aujourd'hui, la technique fascine (multiplicité d'applications), demain, ce sera la diversité des contenus.

P.50
" (...) liberté, mobilité, souplesse, vitesse, interactivité, initiative, participation, innovation, jeunesse, confiance, réactivité, contre pouvoir, émancipation, mondialisation... Trois mots résument le charme d'internet : vitesse-liberté-interactivité. Une rupture culturelle et générationnelle par rapport aux médias de masse. Le règne de l'individu, la victoire de l'information que l'on va chercher où l'on veut, quand on veut, et ce sentiment d'être intelligent, compétent, branché, capable de circuler sans avoir à demander des autorisations. En un mot avoir confiance en soi. Tout ceci est vrai. Avec Internet, on a l'impression de sortir des institutions et de leurs carcans. Tout est possible, une vraie nouvelle frontière. L'individu et l'information sont rois et pour toute cette génération c'est une "utopie politique" : traverser les pouvoirs, les structures, créer d'autres solidarités. Oser jouer l'humour et la distance, sortir d'un espace officiel surinformé, inventer un lien convivial et une forme d'utopie pour des générations, qui en ont été privées par la fin des idéologies et l'économisme dominant de la mondialisation. Un contre-pouvoir en tout cas, qui permet l'expression et la prise de parole, sans règlement ou hiérarchie."

P.51
" Contrairement à un stéréotype tenace Internet et la télévision sont (...) complémentaires, Internet permet de sortir des 'territoires' alors que la télévision, finalement les garantit."

" De toutes façons, Internet est intéressant pour les paradoxes qu'il soulève. D'une part il relance la pratique de l'écrit, et d'autre part, il la dévalorise car tout s'écrit et se diffuse, sans sélection ni hiérarchie. A la fois revalorisation et désacralisation de l'écrit. Avec un statut bizarre d'une écriture mélangée et sans sanction où l'on retrouve aussi bien de l'information-service, que des confidences, de l'expression, du témoignage... Autre paradoxe : chacun est fasciné par le volume d'informations auquel il peut accéder, mais personne ne pose la question de ce que l'on en fait socialement, au travers de la communication. "


Chapitre :
Exploits et dérives de l'information

P.80
" Vitesse et volume sont d'ailleurs pris au piège de la concurrence et contribuent à expliquer le glissement structurel vers la dégradation de l'information. "

" La lenteur c'est le temps des hommes, la vitesse celui des techniques. "

P.82
" Les récepteurs ? Impossibles à ignorer, impossibles à satisfaire. "

P.83
" La diversité culturelle est l'horizon lié à la prise en compte du récepteur. "


Chapitre :
La nouvelle frontière de l'incommunication

P.89-90
" Hier la communication était hiérarchique, réduite le plus souvent à la transmission, sans possibilité de discussion de la part du récepteur-acteur. Aujourd'hui presque tout le monde est à égalité, se répond et négocie. Trois conséquences résultent de cette rupture.
1- La communication : l'autre et la mondialisation
La reconnaissance du statut du récepteur bouleverse tout car elle légitime la question de l'altérité.(...)
On peut être connecté, notamment par Internet, en réalité juxtaposé, sans qu'il y ait cohabitation. Cohabiter c'est le résultat d'une volonté et d'une action..."

P.92
" Avec finalement les classiques stéréotypes de méfiance pour tout ce qui concerne la communication et de fascination naïve pour les nouvelles technologies. Entre appréhension et suivisme.(...)
L'autre cause probable du peu d'intérêt des élites est la crainte, infondée, de leur perte d'influence avec la communication de masse et le décentrage de la culture d'élite. "
P.93
" On y retrouve bien sûr l'appréhension à l'égard du nombre, la méfiance vis à vis de la culture et la démocratie de masse, la peur de l'image, du face-à-face et de l'altérité; la faiblesse de la culture critique pour tout ce qui concerne la technique, pourtant au moins aussi importante que la réflexion sur la science; la difficulté à reconnaître l'intelligence du récepteur. "

P.94
" Pensez la communication, c'est penser l'incommunication.
(...) reconnaître que le dialogue et la négociation, qui sont toujours 'du temps perdu', sont en réalité inhérentes aux rapports humains et sociaux. Ils font autant partie de la communication que les rares moments où les individus se comprennent.
Communiquer c'est de moins en moins transmettre, rarement partager, le plus souvent négocier et finalement cohabiter. "

P.94-95
"(...) conjuguer 2 mouvements contradictoires : la reconnaissance des identités et l'obligation de construire la cohabitation culturelle pour éviter le communautarisme.
Au niveau social, cela conduit à admettre que la plupart de nos sociétés sont multiculturelles; et que ceci est une force, et non une menace, notamment pour l'identité nationale. Les sociétés multiculturelles peuvent plus facilement penser le rapport de soi à l'autre. "

P.95
" C'est là où l'on retrouve la différence normative entre médias de masse et segmentés. Les premiers sont plus à même de refléter la diversité de la société, tout en garantissant l'identité nationale indispensable pour résister à la déstabilisation de la nation; tandis que les seconds sont beaucoup plus adaptés au fractionnement des sociétés en communauté, y compris au-delà des frontières nationales, en laissant de côté la question du lien social et la problématique de l'identité nationale. "

P. 96-97
" La laïcité comme exemple de cohabitation. Moins la laïcité de combat, telle qu'on l'a connue en France, qu'une laïcité de tolérance, à inventer. La mondialisation et le retour des religions vont relancer un débat indispensable, pour la paix dans le monde, concernant la modèle cohabitationniste de la laïcité. "

P.98-99
" Le modèle politique de la démocratie est de toute façon cohabitationniste.(...)
Il faut marcher sur deux jambes, accepter l'identité et organiser la cohabitation, au sein d'un espace plus large.(...) Cela implique un concept essentiel, mais fragile, celui de la confiance. La cohabitation suppose la confiance sinon la suspicion mutuelle, mère de tous les communautarisme, s'installe. Et la confiance requiert du temps. "

P.99-100
" Du point de vue social et culturel, surtout depuis la signature de la convention sur le respect de la diversité culturelle à l'Unesco en 2006, l'obligation est posée, du moins dans les principes, de tenir compte des diversités.(...)
"On est ici au coeur du modèle de communication que je défends : respecter les identités, organiser la cohabitation.(...)
Avec à chaque fois cette exigence, au plan national, comme à celui de la mondialisation : pas de reconnaissance des identités sans renforcement du cadre commun, sous peine de segmentation et communautarisation.


Chapitre :
Information et connaissance : l'indispensable cohabitation

P.109
" La révolution de l'information butte sur deux obstacles. Le premier,(...), concerne la communication, c'est à dire la relation à l'autre et l'incommunication. Le second n'est pas plus simple, c'est celui des connaissances. L'abondance d'informations crée impérieusement le besoins de connaissances pour les comprendre. (...) Au centre il n'y a pas seulement les scientifiques, il y a aussi les journalistes. Pas d'information-presse sans journalistes, pour les créer et surtout les légitimer. "

P.111
" (...) la démocratie ce n'est pas la suppression des corps et métiers intermédiaires, mais la validation de leur rôle et la capacité de les critiquer. Intermédiaire un contre-pouvoir, voilà le rôle des journalistes. "

P.114
" L'information est autre chose que l'opinion du public. A trop vouloir les rapprocher on réduit inévitablement la marge de manoeuvre déjà difficile des journalistes. "
" Il en est de même avec l'illusion aussi d'un 'nouveau' journalisme, lié aux nouvelles techniques. Comme si c'était la technique et le récepteur qui définissent le métier. A force de faire du 'journalisme d'ordinateur' sans jamais sortir des 'rédactions multimédia' pour aller enquêter on arrive à une perte de rapport avec la réalité. "

P.117-118
" Pas d'informations sans connaissances
(...) plus il y a d'informations, plus on a besoin de connaissances pour les expliquer et les contextualiser, sous peine de créer un monde incohérent, tyrannisé par l'événement.(...)
D'ailleurs, information et connaissance, journalistes et universitaires illustrent parfaitement la théorie de la cohabitation. Ils sont les premières figurent de la cohabitation."
p.119
" Le problème n'est pas le volume d'informations, mais les connaissances pour les traiter. "

P.122
" C'est tout l'enjeu de la diversité culturelle : arriver à organiser la cohabitation culturelle, c'est à dire les rapports entre identité et altérité. "

P. 123
" Les relations entre information - connaissance - culture - idéologie sont donc de plus en plus compliquées. Même si ce sont les mêmes techniques que l'on utilise dans le monde pour s'informer et communiquer, rendant apparemment plus facile la circulation des messages. Les mêmes outils ne signifient pas les mêmes contenus, ni surtout les mêmes rapports au monde. "

P. 124
" Quant aux journalistes dont le niveau d'éducation est nettement supérieur à ce qu'il était il y a 30 ans, ils devraient mieux comprendre que le pouvoir politique et économique n'est pas toujours l'essentiel d'une société : la connaissance, la culture et l'ouverture sur les autres civilisations sont aussi importantes. "

" 'De plus en plus vite, de plus en plus faux '. Telle est peut-être la menace la plus forte pour les journalistes. L'idéologie du direct comme symétrie de la victoire politique et culturelle du concept d'information ? Trop de vitesse. Pas assez de distance. Avec le risque du conformisme, la soumission aux récepteurs et aux modes, la segmentation des supports et des offres, la tentation de l'émotion contre le raisonnement, l'expression au détriment de la distance et du suivi. Les journalistes appliquent souvent la 'peopolisation' à eux-mêmes puisqu'ils envahissent les autres médias en fonction de leur renommée médiatique, devenant des 'cumulards'. "

P125
" Le conflit des légitimités.
(...) quel est l'enjeu ? Distinguer des logiques et organiser leur cohabitation. Eviter que tout se mélange. "

P. 130
" rien de pire, sous couvert de tenir compte du récepteur, qui dans la réalité est indifféremment le lecteur, l'auditeur, l'étudiant, le citoyen, que d'arriver justement à faire de celui-ci le détenteur, en dernier ressort, du sens et de la légitimité... Il peut y avoir autant de tyrannie à trop valoriser le récepteur qu'à l'avoir trop 'ignoré'. "


Chapitre :
Conclusion
Y-a-t-il, quelque part quelqu'un qui m'aime...

P.133
"(...) c'est par la liberté d'information que la connaissance du monde et l'esprit critique ont pu se développer. C'est par la communication que l'égalité entre les individus et le légitimité du dialogue ont pu s'imposer. Elles sont les deux faces de la grande question de l'émancipation. On les perdra ou on les sauvera ensemble.

Simplement leur rapport a changé. Si pendant le XIXè siècle, et le XXè siècle, le problème central fut celui de la construction de cette liberté d'information, facilitée par un fantastique progrès technique, le défi du XXIè siècle, tout au moins pour le début, est d'une autre nature. Il est d'organiser la cohabitation pacifique de points de vues contradictoires, dans un monde où chacun voit tout, et veut pouvoir conserver son identité et sa libre expression.

P.134
" La communication c'est l'apprentissage de la cohabitation dans un monde d'informations où la question de l'altérité devient centrale."

" Partager ce que l'on a en commun, autant qu'apprendre à gérer ce qui nous sépare. "

P.135
" Je peux résumer les cinq phases du schéma théorique qui organise mes recherches sur la communication, et souligner la vision à la fois humaniste et politique qui la sous-tend. Pas de vie individuelle et collective sans communication. Vivre c'est communiquer. Les individus communiquent, soit pour partager, séduire ou convaincre. Le plus souvent pour les trois à la fois, dans des proportions qui varient selon le temps et l'espace. ils buttent rapidement sur l'incommunication qui s'installe, commence une phase de négociation entre les points de vue contradictoires. Si cette négociation, souvent quasi-permanente, se termine bien, se construit alors la cohabitation. "

P.136
" La cohabitation n'est donc jamais une pratique naturelle, mais le résultat d'un processus fragile de négociation. C'est pourquoi informer ne suffit pas à communiquer, et pourquoi aussi, le plus souvent, sauf dans les moments rares de la vie, et de l'histoire, la plupart du temps, communiquer, c'est cohabiter. (...)
Rien n'est pire que de vouloir distinguer la bonne information de la mauvaise communication, comme si chacun, journaliste compris, n'avait pas l'intention de communiquer, partager, séduire ou convaincre, ou les trois à la fois, quand il produit et distribue une information. (...)
Deux images pour caractériser ce changement. On parlait du village global comme symbole de la technique triomphante avec Mac Luhan dans les années 1970. Après le 11 septembre 2001, ce n'est plus le village global qui prime, mais la violence du monde ouvert, l'obligation d'organiser la cohabitation culturelle. "

P.137
" L'incommunication ? Elle n'existe pas dans un modèle hiérarchique, car la communication va alors de haut en bas, sans possibilité de discussion. Elle n'existe qu'entre égaux, sinon c'est la soumission à l'autorité. C'est en cela que reconnaître l'incommunication renvoie à l'existence d'une culture démocratique. L'incommunication suppose l'acceptation de rapports humains et sociaux égalitaires. "

P.138
" Plus il y aura d'informations et de messages, plus la diversité culturelle fera entendre sa voix, et avec elle, la nécessité d'organiser la cohabitation culturelle. La diversité est un fait, la cohabitation un projet politique. "

P.139
" C'est en cela, aussi, que toute théorie de la communication contient implicitement une théorie de la société. La mienne pose l'incommunication comme horizon de la communication et valorise la cohabitation, autre manière de reconnaître l'égalité des partenaires. Elle conduit aussi à rehausser le concept de tolérance. La tolérance résulte de l'expérience que l'on fait de l'altérité.(...)

P.139-140
" Si le XXè siècle fut celui de l'information et de la communication, celui du XXIè sera beaucoup plus celui de la cohabitation et de la tolérance. Surtout lorsque les effets de l'incommunication seront davantage visibles.
La théorie de la communication défendue ici est donc, au-delà de la reconnaissance du fait de l'incommunication, une recherche de cohabitation, une invitation à l'expérience et à la tolérance. Non seulement informer n'est pas communiquer, mais communiquer n'est pas transmettre, c'est cohabiter. La communication reconnait l'indépassable altérité des êtres humains et constitue un appel à un peu plus de tolérance. "
Lu par Y.G.

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